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Retour sur les Rencontres 2024 (1) – Réinventer les institutions culturelles/

Retour sur les Rencontres 2024 (1) – Réinventer les institutions culturelles

Emile Rivet

Rencontres 2024 / Patrimoines vivants : échanges et coopérations au coeur des territoires

Les 12, 13 et 14 décembre 2024 avaient lieu les rencontres annuelles du réseau des Centres culturels de rencontre, organisées par l’ACCR, l’Abbaye de Noirlac et la Cité du Mot, sur la thématique « Patrimoines vivants : échanges et coopérations au cœur des territoires ».   

Les Rencontres de l’ACCR sont l’opportunité d’interroger ses pratiques au regard des expériences des membres du réseau et des partenaires mais aussi de la communauté élargie des acteurs de la création et de la culture dans les territoires.

Face à une crise de légitimité du secteur culturel, se note le besoin urgent de reconnecter avec les habitants, leurs besoins et leurs envies. Si les enquêtes sur les publics ont leur raison d’être, il est intéressant de sortir des chiffres pour éclairer les causes de cette désaffection et remédier aux incompréhensions qui se sont installées.

/ Des lieux à l’écoute

Les CCR portent dans leur ADN cette sensibilité à l’écoute du territoire et aux histoires d’un lieu, lieu qu’ils réinvestissent et qui est porteur d’une pluralité infinie de regards, de récits et d’appropriations. Il s’agit de développer un projet évolutif dans lequel ces approches peuvent cohabiter et dialoguer tout en éclairant des thématiques sociétales contemporaines.

Responsables du lien entre ces enjeux et les habitants, les CCR travaillent la politique de la relation avec autant d’attention que leur politique de programmation, écrivant de ce fait un projet de territoire à plusieurs voix. Tisser cette qualité relationnelle s’inscrit dans le temps long.

Thomas Desmaison, directeur du théâtre du Cloître, a partagé son expérience et son cheminement pour diriger une scène nationale grâce au référentiel universel des droits culturels qui place au cœur du cahier des charges l’intérêt humain et non plus la seule programmation. Il lui a notamment fallu traduire son projet en l’adaptant aux attendus formels du ministère de la Culture.

Par exemple, l’action culturelle n’est plus secondaire mais irrigue tous les autres attendus et devient « la relation au territoire et aux personnes ». La médiation et la création ne sont plus opposées mais se nourrissent mutuellement dans la mesure où la médiation peut aussi être antérieure à la création : les spectacles sont une ressource et pas une fin en soi. Cela a abouti à des « bulles artistiques et citoyennes » autour de chaque projet. Le spectacle n’arrive jamais seul, il est au contraire toujours alimenté par des actions d’EAC et d’action culturelle pensées avec le territoire, des résidences ou des débats en parallèle permettent de réfléchir aux problématiques soulevées, …

Toujours dans cette volonté d’horizontalité, un comité de co-programmation, composé d’une quinzaine de volontaires, se réunit d’octobre à février toutes les trois semaines. En février, le groupe passe à l’organisation concrète de l’avant spectacle avec les temps de débats ouverts, d’actions d’EAC, etc. Sur la base d’un appel à mobilisation diffusé en septembre, le théâtre du Cloître invite largement la population à participer. Les volontaires sont ensuite sélectionnés selon leurs motivations et leur capacité à faire « bulle », c’est-à-dire à juger des projets artistiques en résonance avec la vie du territoire. Bien que ces comités ne soient pas représentatifs du territoire car le théâtre n’a pas les moyens des institutions de sondages, le processus se renouvelle avec des personnes qui ne sont pas forcément des habitués.

Tout en gardant des espaces de dialogue, Thomas Desmaison reste le garant de la programmation dans la mesure où il en est le responsable légal, s’assure de la coordination du groupe et du respect des droits de chacun lors de ces échanges.

Ces comités de co-programmation interrogent ainsi le rôle du programmateur qui serait le seul garant et le seul en mesure de savoir ce qui plairait. Ils offrent un modèle démocratique et émancipatoire.

/ Des récits pour des patrimoines

Ces journées ont émis l’idée que les récits pouvaient être un outil de réinvention pour les institutions culturelles. Les récits permettent d’interroger et de définir ce qui fait patrimoine pour une communauté. A ainsi été rediscutée la définition même de patrimoine qui ne se limite pas au patrimoine bâti, mais comprend le culturel, l’immatériel, le naturel, le vernaculaire, le vivant, etc.

Patrimoine et culture ont bien souvent été dissociés, le patrimoine restant associé à l’architecture comme outil d’attractivité touristique et non pas comme objet partagé et discuté avec les habitants. Les récits étant des moyens pour se reconnecter aux affects, ils permettent de rendre vivant un lien avec le patrimoine. 

La dimension citoyenne inhérente dans cette réflexion permet de réfléchir à nos héritages et à notre parole située. Le recueil des récits répond à un positionnement particulier pour se mettre en position d’égal à égal et considérer les personnes qui partagent comme des acteurs à part entière du projet et non pas comme des objets de la recherche. Il convient également de laisser la place à la subjectivité des interlocuteurs et de ne pas déposséder les personnes de leur propre parole, c’est-à-dire ne pas recomposer ou réanalyser la parole recueillie selon un prisme prédéfini.

Il convient de ne pas réduire les récits à la parole mais de s’intéresser aussi aux pratiques artistiques. Sylvie Pébrier, musicologue, explicite l’exemple du milieu de la musique classique qui répond à de nombreux codes de mises en scène. Ces rituels sont autant de récits qui véhiculent une certaine image. Par cette esthétique codifiée, ils instaurent une distance entre l’expérience directe de la musique par les spectateurs et les praticiens. Renoncer à l’attachement à la grandeur a un coût symbolique que le secteur culturel ne consent pas toujours à faire.

/ La ruralité comme atout culturel

Les intervenants se sont attelés à relever les identités et richesses de ces territoires, et à revendiquer la ruralité comme un atout culturel dans le sens d’un lieu des possibles. En effet, les CCR ne sont pas modélisés par avance mais écrivent bel et bien leur projet selon le territoire qui est un endroit de créativité.

Les échanges ont permis de questionner les spécificités du monde rural et surtout de lutter contre d’idée reçue d’un désert culturel. De fait, aucun espace n’est complètement vide donc, de nouveau, le poids des mots est important. Si le manque de reconnaissance, un certain sentiment d’abandon que ce soit par le difficile accès aux soins ou la mobilité restreinte sont indéniables, les intervenants ont réfléchi à basculer ces manques en opportunités.

La nouvelle définition du rural par l’INSEE, qui n’est plus une définition statistique en creux, apporte un regard qualitatif et positif. Cela n’est pas neutre étant donné que l'on définit des politiques d’aménagement en conséquence.

Cela a mis notamment à jour des façons d’être ensemble différentes qui sont liées à des bâtis, une organisation de l’espace et des déplacements différents. Le rural serait également dans un attachement constant au vivant et ne pourrait être pensé indépendamment. Il convient alors de partager de nouveaux récits qui mettent ces spécificités en avant. Pour ce faire, la culture rurale peut être valorisée, par exemple, par des contes, des savoir-faire ou des paysages qui sont autant de ressources pour les territoires.

/ Exemple – Mattang, un dispositif de géographie participative et d’intelligence territoriale

Mattang est un dispositif de géographie participative et d’intelligence territoriale coordonné par la Maison forte de Monbalen (en préfiguration pour être Centre culturel de rencontre). Cette cartographie sensible invite les habitants à penser un territoire durable et créatif.

Face à une crise de sens des politiques culturelles, cette cartographie relationnelle du territoire permet l’émancipation des personnes et la création de nouveaux récits qui incarnent ce qui fait culture commune. L’approche coopérative, permet également de penser de manière horizontale les modes de gouvernance. 

Les habitants sont invités à répondre à des questions posées par des acteurs culturels afin de percevoir leur rapport au territoire, à la culture, au vivant, … Les paroles collectées sont traitées numériquement afin d’opérer des rapprochements et ainsi de faire émerger des contre récits à ceux portés par les acteurs touristiques et institutionnels ou du moins des récits incarnés qui permettent une approche intuitive du territoire.

En plaçant l’acteur culturel comme opérateur du système, cette solution fait de lui un acteur de l’écoute, l’animateur d’un récit partagé, un conteur du territoire et le met au centre d’une concertation continue. Cette solution s’appuie sur des données présentes « en angle mort » des politiques locales souvent ignorées par les diagnostics de territoires qui, par leur approche quantitative et leur vision urbaine du développement, condamnent les territoires les plus singuliers et les plus en difficulté.

Reposant en partie sur une intelligence artificielle (IA), ce dispositif produit et anime un capital de connaissances relationnelles pour inventer le paysage des communautés citoyennes créatives et d’idéation. S’agissant de créer un espace de débat en continu, les données fournies par l’IA sont remises en débat citoyen avant usage. L’IA est ainsi un simple tiers et non le cœur du projet.

Cette performance permet aussi de mesurer où sont les alliances sur le territoire et aide à approcher les groupes politiquement marqués en sachant sur quels points les aborder étant donné que l’IA opère ce travail de lien des mots employés avec des concepts.