Du 29 janvier au 2 février 2024, l’ACCR, plusieurs membres du réseau des CCR et des partenaires sont partis en mobilité Erasmus+ au Théâtre Potlach, en Italie. Ce séjour apprenant, organisé par l’Abbaye aux Dames, a permis de questionner l’implication des communautés locales dans un projet artistique et culturel.
Étymologiquement le Potlach signifie donner le change. Il s’agit d’une cérémonie, pratiquée notamment par les tribus indigènes d’Amérique du Nord, au cours de laquelle des clans rivalisent de prodigalité, soit en détruisant des objets soit en faisant des dons au rival qui est contraint à son tour de donner davantage. C’est donc une dynamique d’échange réciproque qui dicte les comportements. Le Théâtre Potlach s’inscrit dans cet esprit de don-contre don qui permet de créer du commun.
À travers un festival de théâtre estival, une saison artistique, des interventions dans les écoles, de nombreux partenariats, et le programme des villes invisibles, le Théâtre Potlach s’adresse aux territoires et aux habitant.es pour proposer un théâtre accessible et transdisciplinaire (numérique, musique, cirque). À partir de cet exemple inspirant, les équipes ont collectivement réfléchi à leur positionnement.
/ À l’écoute des habitant.es
Afin de faciliter son intégration au sein du village, le Théâtre Potlach a mené un travail anthropologique auprès des habitant.es pour déterminer les raisons de leurs réticences face à leurs propositions artistiques et savoir ce qui les intéresserait. Rassurer les habitant.es signifie aller vers eux, écouter et comprendre leurs sentiments et leur quotidien, et parler de ce qui les concerne car les publics vont voir ce qui leur appartient. Les habitant.es du village ont une certaine culture faite de chorale, de folklore, de danse ou encore de théâtre en dialecte qu’il a fallu appréhender.
À la suite de cette analyse, la compagnie a adapté son projet pour proposer une mise en scène de l’histoire du village autour de la cohabitation des deux monastères. Plusieurs représentations ont eu lieu attirant cette fois les habitant.es. Un lien de confiance s’est alors tissé : les habitant.es se sont senti.es écouté.es, leurs traditions et leurs visions de la société n’ont pas été ébranlées. La compagnie a, par exemple, fait le choix de ne pas aborder certains sujets comme la politique ou bien les relations amoureuses.
Ce travail sur la confiance s’est aussi matérialisé par une ouverture de la compagnie aux habitant.es en les invitant à vivre avec eux le temps d’une journée. Cette attention portée à la transparence a grandement favorisé l’interconnaissance.
Au-delà des sujets abordés, les habitant.es n’étaient pas non plus habitué.es au nouveau format théâtral proposé, à savoir une scène centrale, sans estrade, des représentations hors les murs, une proximité dans le jeu des acteur.rices qui interpellent l’audience, … Il a fallu faire preuve de pédagogie pour accompagner le public dans l’appréhension de la disparition du quatrième mur.
/ Impliquer les populations locales
Cette attention portée aux habitant.es va de pair avec un changement de statut : ils ne sont plus considéré.es comme des spectateur.rices passif.ves mais bel et bien comme des acteur.rices à part entière de la création. Cette nouvelle relation se développe notamment autour d’une implication émotionnelle directe, les sens étant les premiers instruments de la connaissance. La culture permet de développer un lien privilégié dans la mesure où elle crée des souvenirs.
L’implication est aussi plus tangible. Le Théâtre Potlach a proposé des spectacles chez les habitant.es en utilisant leur cave et leur jardin comme des espaces de représentation. Chaque habitant.e a ainsi pleinement sa place dans les projets de la compagnie. L’intérêt des habitant.es envers les activités du théâtre s’est accru par le choix de ces espaces. Par ces nouvelles façons d’entrer en lien avec les publics, les comédien.nes ont réussi à instaurer une proximité propice à la coopération.
Les CCR français ont également partagé leurs actions en faveur d’une relation repensée entre les artistes et les publics comme l’Abbaye aux Dames qui organise toujours des sorties de résidence ouvertes aux publics et qui, pendant son festival, fait appel à de nombreux bénévoles qui ont ainsi accès gratuitement aux concerts.
Tout en gardant comme valeur chère le concept de démocratie culturelle, les équipes se sont également accordées sur le fait qu’il fallait dédramatiser le quantitatif et accepter aussi le choix des publics de ne pas s’intéresser.
/ Le territoire comme espace et matière de création
Le Théâtre Potlach, en impliquant les populations locales et leurs patrimoines (matériels et immatériels), offre une véritable aventure humaine. La compagnie développe de nombreux projets hors les murs, d’arts de rue, qui permettent de (re)découvrir des lieux cachés ou, au contraire, communs mais qu’on ne voit plus car pris dans la spirale du quotidien. Elle offre à voir la ville comme un grand décor malléable, un espace de jeu infini afin de rompre le rythme de la vie quotidienne. Les villes offrent naturellement une scénographie qui a une mémoire. Dans cette dynamique, ont été élaborés deux projets distincts : les villes invisibles et une balade augmentée.
Les villes invisibles /
Le festival des villes invisibles offre une nouvelle manière de lire la ville dont les parcours habituels se trouvent bouleversés par des jeux de drapé et de lumière qui la rendent méconnaissable. De nouvelles déambulations sont proposées qui mènent d’une saynète à l’autre. Ces nouveaux espaces ainsi créés constituent autant de villes à découvrir.
Chaque artiste dispose de son espace, qui peut tout aussi bien être un balcon, un escalier qu’une étroite ruelle. Projet interdisciplinaire d’occupation de la ville, les formes de dramaturgies proposées sont tout aussi variées que le nombre d’artistes présent.es. Les artistes répondent au défi d’une relation repensée avec leurs lieux de performance. Par exemple, des danseur.euses de tango peuvent jouer sur un vieil escalier en pierre, loin du sol d’une salle de danse auquel ils ou elles sont habitué.es.
Le Théâtre Potlach définit un parcours d’environ deux heures et oriente les spectateur.rices grâce à des choix visuels et musicaux. Une des spécificités des arts de rue étant la libre circulation des publics, il convient de développer des techniques pour capter l’attention sans avoir l’impression de contraindre. Dans un souci d’accessibilité, sont privilégiés des spectacles sans parole : art du corps, musique, chant…
La compagnie avait à cœur de proposer une performance de grande envergure et de grande qualité artistique en dehors des métropoles valorisant de ce fait la richesse des territoires.
Balade augmentée /
Pendant la pandémie en 2020, l’équipe du Théâtre Potlach s’est lancée dans un projet numérique afin de parler différemment du patrimoine du village. Pour ce faire, elle s’est rapprochée d’une entreprise spécialisée dans la digitalisation du patrimoine avec pour finalité la création d’un parcours accessible sur smartphone et la réalisation d’un court-métrage dans lequel les comédien.nes sont amené.es à interagir avec les habitant.es.
Dans ces capsules vidéo ont été ajoutés des objets issus des collections du musée d’archéologie de la ville. Ces objets ont été numérisés afin de les insérer et d’en faire des éléments centraux de l’histoire. Ainsi, aussi bien le patrimoine bâti, l’environnement naturel d’exception du village, que les habitant.es et leurs objets d’art sont valorisés et mis en récit.
/ Faire des lieux de patrimoine et de création des lieux accueillants
Les notions de bien-être et d’accueil ont été au cœur des réflexions. Le Théâtre Potlach s’est appliqué à créer un environnement chaleureux propice à la convivialité, aux échanges et à la confiance. Les espaces ouverts sont par exemple décorés avec des couleurs chaudes et de nombreuses assises modulables sont mises à disposition. L’objectif étant que les spectateur.rices s’approprient l’endroit, si sentent comme chez eux.
Une des conditions de ce bien-être repose sur les repas partagés. Les repas sont des moments fédérateurs qui permettent de libérer la parole et de rapprocher les commensaux. C’est un moment de disponibilité favorisant l’écoute d’autrui et le partage de ses passions. Quand on mange ensemble, on se serre les coudes, nous nous sentons naturellement plus proche, partageant un même moment et étant confronté.es aux mêmes saveurs. Toujours selon ce concept du Potlach, offrir un repas ou une collation est une forme de don, une manière d’exprimer son ouverture vers autrui. Pendant le festival de l’Abbaye aux Dames, il est par exemple possible de venir boire un verre dans la cour, sans assister à un concert, pour profiter de l’ambiance
S’inscrire dans les fêtes populaires répond aussi à cette recherche de proximité et de convivialité. Nombreux sont les CCR, comme l’Abbaye aux Dames ou la Chartreuse de Neuville, à s’inscrire dans ces festivités locales comme le marché de Noël, le marché paysan, Halloween, la fête de l’école du village, un événement sportif, etc. Par exemple, la Saline royale a dû faire face, pendant un temps, à un certain désamour de la part des locaux en raison d’une image élitiste et fermée du site. Afin de casser cette image, la Saline a par exemple été le lieu d’arrivée d’un trail en octobre 2023. Être le relais de grands événements populaires annuels permet d’ouvrir davantage le site, de créer des moments exceptionnels et de les ritualiser.
Ce point constitue une des forces des CCR qui, tout en répondant à une exigence culturelle, adoptent une approche populaire. Les CCR sont des sites moteurs dans ce rapport à la culture repensé. Cet équilibre permet un sentiment d’appartenance et de familiarité plus fort, et, par extension, de fierté à partager ce patrimoine commun.
/ Boîte à outils
Les CCR sont revenus également sur la question des mobilités, sujet particulièrement prenant en raison de leur localisation en milieu rural, pour certains très isolés. Si certains louent ou achètent des minibus afin de mettre en place des navettes, l’abbaye de Noirlac teste la plateforme « Covoiturage simple ». Dédiée aux événements culturels et sportifs, la plateforme met en relation des personnes ayant des intérêts communs. De prime abord plus simple et moins contraignant qu’une navette pour les usager.es, cela permet aussi de créer du lien en amont entre visiteur.euses.