La deuxième journée de restitution et d’expérimentation sur le terrain de la formation « Interpréter et appliquer les principes de la Convention de Faro » s’est tenue le jeudi 28 mars 2024 à la Ferme de Villefavard en Limousin. Cette formation a été initiée par l’ACCR afin d’accompagner ses membres et ses partenaires dans leur compréhension et leur mise en pratique de Faro. Elle est animée par la coopérative des Oiseaux de Passage.
Lors de cette journée différents temps de discussion et de mise en pratique ont pu s’alterner afin d’éprouver l’esprit Faro et réfléchir collectivement à des applications concrètes au sein des institutions culturelles que sont les Centres culturels de rencontre.
Vers une considération repensée /
A été discutée la nécessité pour les institutions de se réinventer, de créer une nouvelle manière d’être au sein des territoires. Cette réflexion va de pair avec le fait de repenser l’approche des habitant.es et des visiteurs.euses en les considérant comme des parties prenantes des projets et non pas comme des spectateurs passifs.
Donner cette place passe notamment par une réflexion sur le vocabulaire employé qui ouvre un rapport particulier dans la relation entretenue. Il s’agirait de s’éloigner du terme de public qui instaure une certaine distance et une approche descendante.
Dès lors, une souplesse dans l’accueil se met en place favorisant la rencontre et rendant effective la notion de vivre ensemble. Définir dans quelles conditions nous voulons rencontrer les personnes est déjà une forme d’éloignement. Il faut savoir créer un contexte plastique propice au dialogue et à la coopération.
Être un lieu ouvert ne suffit pas, il faut se positionner comme un lieu ressource en mesure d’accompagner tout un chacun dans cette démarche collaborative. De fait, la coopération ne se décrète pas, c’est une responsabilité partagée qui demande de créer un cadre spécifique.
La question de la réciprocité
La question de la réciprocité est essentielle afin d’instaurer une relation de confiance sur le long terme. Il ne s’agit pas uniquement de récolter une parole, des savoirs ou des savoir-faire, il faut également que l’institution culturelle soit en mesure d’apporter en retour aux personnes contributives.
Ainsi, il convient de s’interroger sur les modalités pour continuer à aller vers et à travailler avec les personnes du territoire une fois qu’on a récupéré la matière auprès d’eux qui nous intéressait en tant que structure.
Donner la place à autrui
Offrir une autre version de l’Histoire
La Ferme de Villefavard ainsi que le Château de Goutelas ont initié des balades matrimoniales afin de redonner la voix aux femmes du territoire qui ont été invisibilisées bien qu’elles aient contribué pleinement à son histoire.
Le Château de Goutelas a souhaité reconstruire cette histoire à la faveur d’un travail commun mené avec la coopérative des Oiseaux de passage dans le cadre d’une expérimentation de la mise en application de la Convention de Faro dans les CCR impulsée par l’ACCR. Des interviews ainsi que des questionnaires ont été réalisés afin de recueillir cette parole délaissée. La matière ainsi récoltée a donné lieu à une balade en décembre 2022 au cours de laquelle intervenaient une vigneronne, une paysanne, une élue et une dj avec pour ambition d’élargir leurs propos sur l’émancipation des femmes du territoire en général dans les domaines de la création et de la production, de l’agriculture ou encore de la politique et des instances de pouvoir. La voix des femmes s’inscrit dans un processus de déconstruction du mythe fondateur du site uniquement incarné par des figures masculines. Cela a permis de nourrir la manière dont les équipes voient et valorisent le patrimoine. A terme, est en réflexion la possibilité de faire de cette matière un roman illustré et une visite « point de vue ».
Sur la base de ce modèle inspirant, les équipes de Villefavard ont également réalisé ce travail d’enquête par des lectures et surtout par des rencontres avec des personnes du village afin de créer une balade retraçant la vie de femmes emblématiques du village et de la ferme mise en regard avec la vie de femmes agricultrices aujourd’hui. Cette balade, par son approche plus sociale, a permis à des habitant.es peu familier.eres de la ferme de s’approprier les lieux et la programmation.
Favoriser les interactions
Lors de cette journée de formation, les participant.es ont suivi les équipes de Villefavard dans une découverte des patrimoines vernaculaires alentours. Ce fut l’occasion d’une balade nature qui a laissé de la place à l’improvisation. Modèle éprouvé par la ferme, il s’agit de partir des échanges avec les visiteur.euses pour construire au fil de l’eau la balade. Cela permet de croiser les savoirs et d’inciter les personnes à oser prendre la parole. Des outils pour favoriser la participation des visiteur.euses, comme des jumelles, sont aussi mis à disposition.
Par exemple, à l’Abbaye de Noirlac, se côtoient des visites guidées traditionnelles au cours de laquelle un guide professionnel transmet son savoir et des visites thématiques qui invitent davantage à la participation. Ces deux offres ne sont pas à opposer mais bien à voir comme deux propositions qui se répondent et s’enrichissent des pratiques de l’une et de l’autre. Il s’agit d’organiser des points de rencontre entre des guides et d’autres formes de savoir afin de favoriser l’appropriation du lieu par les personnes du territoire ou de passage.
Une approche sensible
La Ferme de Villefavard propose également des balades nocturnes lors de la saison estivale qui permettent notamment d’éveiller les sens par la sollicitation de leurs imaginaires. Cet appel à l’imaginaire est l’occasion d’une approche plus sensible, lors de laquelle tout un chacun est invité à faire appel à ces sens, soit les premiers rapports au monde. Favoriser cette invitation permet que chaque personne se sente concernée et puisse s’investir sans une question de hiérarchisation des savoirs.
A l’occasion d’une balade nature, l’ouïe peut par exemple être sollicitée, prétexte pour aborder les printemps silencieux à venir en raison des bouleversements climatiques qui impactent durablement la faune ; la vue offre le constat d’un paysage pleinement anthropisé, témoin du façonnage par l’Homme des paysages, etc. Cette approche sensible de la géographie vient ainsi compléter une lecture historique du site pour offrir une véritable fresque du territoire.
Renouveler le lien au territoire par les récits /
Être dans l’Histoire ne suffit pas pour faire d’un lieu un élément remarquable du patrimoine culturel d’un territoire, il s’agit d’élaborer un projet autour de ce site. Un des axes du projet de la Ferme de Villefavard repose sur les récits. Ces récits donnent corps et consistance à l’histoire de ce patrimoine rural qui a tout autant de valeur qu’un patrimoine bâti plus imposant et considéré comme plus noble tel qu’un château ou une abbaye.
Les CCR sont attentifs au fait de donner la voix aux acteurs des territoires et de valoriser la pluralité des récits qu’ils portent. La participation citoyenne, qui nourrit les projets culturels et artistiques, permet de discuter la question des droits culturels, dans l’esprit de la Convention de Faro qui affirme que l’importance du patrimoine culturel tient moins aux objets et aux lieux qu’aux significations et aux usages que les gens leur attachent et aux valeurs qu’ils représentent.
En travaillant ensemble, les habitant.es et les professionnel.les de la culture et du patrimoine peuvent contribuer à mettre en lumière la richesse et la diversité des territoires ruraux et à promouvoir une représentation plus équilibrée et inclusive de la vie rurale. Quand les habitant.es apportent l’histoire de leur territoire, les acteurs culturels peuvent promouvoir ces récits et leur donner davantage de visibilité. De nouveau la question de la réciprocité est essentielle.
Exemple d’un projet de territoire : les agriculteurs du futur /
Le 28 au soir se déroulait la restitution d’un projet d’action culturelle, « Les agriculteurs du futur » coordonné par la Ferme de Villefavard en partenariat avec le Lycée d’Enseignement Général, Technologique et Professionnel Agricole (LEGTPA) de Magnac-Laval et soutenu par la région Nouvelle-Aquitaine.
À travers une résidence croisée entre création sonore et photographique in situ avec les artistes Christophe Goussard et Halory Goerger, la parole a été donnée aux agriculteur.rices de demain encore en formation afin de faire émerger de nouveaux récits communs autour notamment de la paysannerie en Basse-Marche. Cette résidence artistique invite à questionner les futurs possibles de nos campagnes, restituée selon le souhait des apprenant.es à la Ferme de Villefavard dans l’atmosphère d’antan non sans rappeler les Passées d’Août, ces repas de fin de moisson que les jeunes agriculteur.rices n’ont pas eu la chance de connaître.
Les équipes du réseau des CCR ont eu l’opportunité d’assister à cette restitution et d’échanger aussi bien avec les artistes qu’avec ces futur.es agriculteur.rices, permettant ainsi d’appréhender les motivations, les approches, les ressentis de chacun ainsi que l’organisation concrète d’un tel projet.
À explorer /
« Tour de France de la culture » étude menée par la Maison forte, coopérative des transitions