Les 16, 17 et 18 novembre 2023, se sont déroulées les Rencontres européennes « Patrimoines & création face aux transitions contemporaines » à la Saline royale d’Arc-et-Senans. Ces trois jours d’échanges denses ont permis de questionner la culture au regard des grands défis contemporains dont celui de repenser la relation qu’entretiennent les institutions culturelles avec les publics.
Plus que de parler de renouvellement des publics en eux-mêmes, il conviendrait de s’interroger sur le renouvellement de la relation entretenue avec eux. Cela permet de repenser le rôle de l’institution qui devient alors un tiers de confiance à l’écoute des publics et le relais des préoccupations sociétales.
Le réseau des CCR interroge ainsi le vocabulaire « offre culturelle » ou « demande culturelle » qui sous-entend un produit à désirer ou à vendre et privilégie la question de savoir ce qui fait culture ou bien vivre ensemble dans un territoire rural. Les CCR œuvrent pour faire évoluer ce paradigme descendant vers un paradigme plus inclusif intégrant la contribution des habitant.es des territoires (ceux et celles qui y vivent, qui les font vivre, qui les vivent en les traversant, en y séjournant, en y travaillant, etc.) et reflétant la diversité de leurs cultures. En somme, un des enjeux majeurs serait d'œuvrer en faveur d’une transition des modes relationnels.
/La question de la représentativité
Si les échanges, et notamment l’intervention d’Edwige Millery chargée d'études et référente du pôle Dynamiques territoriales au sein du département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation (DEPS) du ministère de la Culture, ont fait mention de chiffres encourageants quant à la fréquentation des institutions culturelles, la pratique du terrain révèle les fortes inégalités d’accès qui existent.
Selon quelques chiffres issus de la dernière étude « À l’écoute des visiteurs », qui est un dispositif d’enquête du DEPS dans les sites et établissements patrimoniaux, les publics sont à plus de 50% des femmes, 60% des personnes sont en situation d’emploi, l’âge moyen du visiteur est de 37 ans, donnée qui tend à se rajeunir grâce notamment aux politiques tarifaires favorables – un tiers bénéficie d’un système de gratuité - et aux nouvelles actions de médiation. Sinon les profils des visiteur.euses restent relativement identiques. Dès lors, se pose la question de la non-évolution des publics.
D’une part, la connaissance des publics est source de multi-questionnements basés sur des données socio-démographiques. D’autre part, les institutions ont également un rôle à jouer dans la manière dont elles se présentent, dont elles s’adressent aux publics et dont elles hiérarchisent les disciplines.
Il est alors question de repenser les imaginaires que l’on suscite afin de permettre une approche renouvelée des publics et de limiter au possible la distance qui s’instaure entre certaines institutions culturelles et patrimoniales et une frange non négligeable de la population. Se penser et être perçu comme un lieu ouvert et accueillant implique de représenter les minorités aussi bien au niveau de la gouvernance et du leadership des structures qu’au niveau de la programmation.
/Écoute et observation au cœur du projet
Pour mener à bien cet engagement, les institutions culturelles ont un travail à effectuer sur les liens qu’elles peuvent tisser avec les personnes du territoire. Cela demande des capacités d’observation, d’écoute et de connaissance des publics afin de se demander à qui le site s’adresse et devrait s’adresser, élément clé qui donne sens à tout projet.
Les Centres culturels de rencontre sont justement des espaces d’invention qui valorisent une pluralité de récits, qui favorisent une rapidité des rencontres due, entre autres, à leur implantation en milieu rural et à la cohabitation d’artistes en résidence, de professionnel.les de la culture et de visiteur.euses. Témoin de cette attention à l’autre, l’Abbaye de Noirlac développe un projet artistique et culturel autour de l’écoute et du dialogue donnant à voir la richesse rurale de son territoire.
Le réseau Trans Europe Halles, réseau de friches culturelles et industrielles créé au début des années 1970 et représenté lors des Rencontres européennes par Tiffany Fukuma, la directrice générale, s’inscrit également dans cette dynamique en soutenant et en accompagnant les communautés dans leurs projets de société selon leurs besoins spécifiques.
/Développer une approche émotionnelle
Dans ce sens, il s’agit de penser une programmation pour ces publics identifiés, selon leurs aspirations, et non plus seulement ce que l’on juge être les œuvres à montrer. Par leur ancrage territorial fort et leur attention portée à l’hospitalité, les CCR offrent une approche plus émotionnelle et sensible du patrimoine qui fait sens pour les locaux et renforce les sentiments d’appartenance, de reconnaissance et de fierté.
Cette approche créative et locale du patrimoine et du lien avec les publics n’est pas contradictoire avec une exploration européenne. Au contraire, croiser les métiers, les engagements et les pratiques permet de s’inspirer et d’évoluer. Rayonnement national et international peuvent aller de pair avec le fait de rassembler des personnes sur le territoire.
Grâce aux espaces de dialogue aménagés et préservés par les CCR et Trans Europe Halles, le patrimoine devient lieu et prétexte à la sociabilité, à la rencontre, contribuant ainsi à réhumaniser les relations. C’est tout un univers de pratiques autour de la visite ou, plus largement, de l’expérimentation patrimoniale qui permet de nourrir le vivre ensemble.